2009/07/06

HADOPI I et II : Inconstitutionnelle Anéfé

Le Conseil Constitutionnel a rendu son verdict: la loi HADOPI est bien contraire à la constitution, et pas qu'un peu ! En annulant toute la partie répressive du texte, et en émettant des réserves d'interprétation sur le reste, le conseil a mis le dernier clou dans le cercueil d'HADOPI, qui va rejoindre l'Autorité de Régulation des Mesures Techniques créée par la loi DADVSI, au musée des administrations courtelinesques. Je vous invite à lire dans le détail l'explication de texte de Maître Eolas et de Jules, car si le conseil ne manque pas d'humour, il faut être juriste pour en profiter :-)

Les principaux arguments retenus par le conseil constitutionnel (l'atteinte à la liberté d'expression, la disproportion de la sanction, le renversement de la présomption d'innocence) sont aussi ceux qui ont été le plus farouchement débattu par les députés opposés aux texte d'Albanorwell (essentiellement des députés d'opposition, mais aussi une poignée de courageux UMP). A chaque amendement qui essayait de corriger le texte sur ces points, la ministre ne savait qu'opposer un "Avis défavorable anéfé", avec de temps en temps la variante : "Anéfé, avis défavorable". Elle aurait mieux fait d'écouter et de travailler son texte.

Il semble que l'on soit revenus au temps du fameux "vous avez juridiquement tort car vous êtes politiquement minoritaires!". Il est maintenant démontré qu'il est possible de faire voter n'importe quoi au groupe majoritaire à l'Assemblée Nationale ! Heureusement il reste quelques garde-fous dans notre république, mais il n'en reste pas moins que les députés qui ont voté cette loi n'ont pas fait leur travail de représentants du peuple et de législateur. Ils se sont contentés d'obéir aux ordres, et l'on sait jusqu'où cela peut nous mener...

Et pourtant voici déjà HADOPI II : le retour de la vengeance d'Albanorwell ! Avec la promesse du même cirque, et les mêmes contorsions juridiques pour essayer de faire accepter l'inacceptable, et de mettre en application l'inapplicable. Je vous laisse parcourir les analyses juridiques ici et , pour souligner le point qui me parait symboliser cette nouvelle tentative :


le titulaire de l'abonnement à Internet, dès lors qu'il ne serait pas l'auteur de l'acte de contrefaçon mais qu'il aurait fait preuve d'une « négligence caractérisée » dans la surveillance de son accès à Internet, pourrait encourir une amende (contravention de 5e classe), éventuellement assortie d'une suspension de son accès à Internet pour une durée maximale d'un mois, à condition d'avoir été préalablement averti par la commission de protection des droits de la HADOPI, en application de l'article L. 331-26, par voie d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d'envoi de la recommandation


J'ai déjà glosé sur l'extraordinaire capacité de ce gouvernement à être systématiquement à contre-temps, mais je dois dire que je me suis encore laissé surprendre. A l'heure où l'Internet en général et Twitter en particulier sont les seules sources d'informations sur la réalité des élections en Iran, il me parait effectivement indispensable que le pays des Droits de l'Homme indique enfin au reste du monde médusé que l'accès internet est trop dangereux pour être laissé sans surveillance. Je serais curieux de connaître combien d'Iraniens seraient aujourd'hui convaincus de "négligence caractérisée" dans la surveillance de leur accès Internet s'ils avaient été suffisamment éclairés pour voter une loi similaire...

Notre pays a une histoire, et si Henri Guaino l'a oubliée et a du coup bien mérité le prix Busiris décerné par l'indispensable Maître Eolas, d'autres se souviennent comme Lars Gustafsson, qui nous rappelle que dans pendant les décennies précédent la révolution, la presse n'était pas libre, imprimer était un acte subversif, et les raids se multipliaient contre les imprimeries clandestines, certainement au nom du délit de "négligence caractérisée" dans la surveillance de l'accès à sa presse à imprimer. Et si l'Encyclopédie a quand même été imprimée, ce fut dans l'enclave prussienne de Neufchatel, où l'on pouvait aussi imprimer des récits pornographiques. La aussi la réaction des censeurs a été de censurer plus encore et de réprimer. On sait comment cela s'est terminé :

Article 11 de la déclaration des Droits de l'Homme de 1789 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Alors pourquoi refaire les mêmes erreurs ? Quels sont ces lobbies si puissants qu'ils réussissent à mettre la moitié de notre classe politique en porte-à-faux avec notre propre constitution et notre propre histoire ?

Personnellement je concluerai comme Lars Gustafsson :
 
L'intégrité intellectuelle et personnelle des citoyens, pour simplifier un internet qui n'a pas été transformé en un média gouvernemental par des tribunaux imprégnés par les lobbies, et des politiciens Européens tenus en laisse, est plus importante que les besoins d'une scène littéraire et musicale principalement industrielle, qui es déjà en train de s'écrouler rapidement du vivant des auteurs. Le besoin d'être lu, d'influencer, de formuler son temps, peut parfois être en conflit avec le désir de vendre beaucoup d'exemplaires. Quand les deux besoins entrent en conflit, l'intérêt industriel doit être mis de côté et la grande sphère intellectuelle des arts doit être défendue contre les menaces.

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