2007/09/25

Les éternelles pleureuses de l'industrie du disque

Je reviens sur deux articles des Echos de mardi 11 septembre, que j'ai lus dans l'avion et précieusement conservés pour pouvoir en parler un peu ici. Par un heureux hasard la première page des échos avait en Une : "Le marché du disque est toujours à la peine", et un tout petit entrefilet au fin fond du journal nous apprenait que la "taxe" sur les moyens de stockage (CD, DVD) au titre de la "copie privée" était étendue aux cartes mémoires, clés USB et autres disques durs externes.

C'est l'occasion de revenir sur les évènements des 18 derniers mois, en gros depuis la loi DADVSI de sinistre mémoire. Rappelons que cette loi, qui se focalisait essentiellement sur les DRM (les moyens techniques permettant d'empêcher la copie des oeuvres au format électronique), était la transcription en droit français d'une directive européenne. Le débat a fait rage, les internautes se sont mobilisés, et une poignée de députés ont vraiment essayé de comprendre le sujet et de trouver des solutions utiles à la société moderne. Mais les godillots de l'UMP manoeuvrés par les lobbies de l'industrie du disque ont réussi à faire l'interprétation la plus stricte possible de la directive européenne, au mépris de l'intérêt général mais creusant ainsi leur propre tombeau.

Car un peu plus d'un an après il faut bien reconnaître l'industrie musicale essaye tant bien que mal de sortir du bourbier DRM : EMI a franchi le pas et vend maintenant la quasi totalité de son catalogue en ligne sans DRM ; Universal, principal lobby de la loi DADVSI, sent le vent tourner et commence à abandonner les DRM tout en essayant d'éviter que cela profite surtout à iTunes Store ; Sony ne s'est jamais remis de l'affaire du rootkit sur ses CD, vient néanmoins officiellement d'abandonner son format propriétaire (et protégé) ATRAC au profit des formats standards du marché. La loi DADVSI était donc une victoire à la Pyrrhus.

ll est frappant d'ailleurs de constater que toutes les prédictions faites par les adversaires des DRM sont en train de se réaliser. Nous avions prédit que les morceaux vendus sur Internet sans DRM se vendraient plus que les morceaux avec DRM : cela a été démontré par EMI dont les ventes de l'album des Pink Floyd "Dark side of the moon" sont en progressions de 272% depuis qu'ils ne sont plus protégés par DRM. Nous avions prédit que les utilisateurs qui achetaient des morceaux avec DRM avaient de forte chances de se retrouver dépossédés du droit d'écouter ou de regarder l'oeuvre qu'ils avaient légalement achetée en cas de rupture technologique ou de défaillance du distributeur ayant imposé les DRM : la disparition de Virgin Digital et de Google Video à quelques semaines d'intervalle ne laissent plus aucun doute sur ce point. Revenons deux minutes sur ces cas très différents.

Virgin Digital était la filiale du groupe Virgin, qui distribuait de la musique sur Internet en utilisant la technologie DRM de Microsoft "Play for Sure" (que Microsoft a décidé de ne pas utiliser pour le Zune, pour laisser au Zune l'exclusivité d'une nouvelle technologie incompatible, avec le succès qu'on sait). Virgin Digital permettait d'acheter des morceaux, mais offrait aussi la possibilité de s'abonner pour écouter tous (ou presque je suppose) les morceaux de leur catalogue : pour un abonnement mensuel forfaitaire on a accès à un large catalogue de morceaux qu'on peut télécharger et écouter, mais qu'on n'a pas acheté, et si on ne renouvelle pas l'abonnement on ne peut plus rien écouter. Donc quand Virgin Digital décide d'arrêter ses services voici le message qu'ils donnent à leurs clients:

Dear customer, we regret to announce that the Virgin Digital service is due to close.

We will be taking no new customers from today, Friday 21st September.

On Friday the 28th September we will cease selling tracks and access will be for current Club users only.

On Friday the 19th October the site will close for all customers.

If you have purchased tracks from the service then we recommend that you back up your music files – Information about backing up and re-downloading your tracks

If you are a current Club member you will be able to continue using the service until the date that your next payment is due, after which the service will no longer be accessible to you.

Donc en gros ciao et merci pour tout : si vous avez acheté des morceaux qui sont protégés il vous reste une chance encore de les sauvegarder (à vous de vous débrouiller pour que la sauvegarde préserve les droits protégés par les DRM) et de les re-télécharger le cas échéant (ce qui n'est pas possible pour tous les morceaux, car certains labels n'étaient plus distribués par Virgin Digital et donc plus téléchargeables) mais dépêchez-vous car ça ne va pas durer. Si vous aviez un abonnement il ne vous reste que vos yeux pour pleurer : vous n'avez acheté aucun morceau, et donc à partir du 28 septembre ou du 19 octobre vous n'avez plus de musique du tout, même si vous avez dépensé 100€ ou plus en abonnement au fil des mois...

Google Video avait été lancé quelques temps avant que Google ne rachète YouTube. La principale différence avec YouTube (à part le succès) était que certaines videos n'était pas disponibles en téléchargement gratuit, mais devaient être achetées, et étaient protégées par une technologie DRM inventée par Google, qui avait la bonne idée de vérifier sur Internet que la video avait bien été acquise légalement à chaque fois que vous vouliez la regarder. Il fallait bien essayer quelque chose pour se différencier de YouTube, mais à la fin il était plus utile de racheter YouTube. Du coup la fin de Google Video était prévisible. Ce qui l'était moins c'était la façon dont Google allait se dépêtrer des DRM qu'ils avaient eux-mêmes inventés. En décidant d'arrêter Google Video ils transforment toutes les videos qu'ils ont vendues en fichiers illisibles et donc inutiles. Ils se sont donc sentis obligés de rembourser tous les clients qui avaient acheté des videos, et ont d'abord proposé un crédit sur Google Checkout (leur équivalent de Paypal). Ce qui faisait qu'en plus d'avoir perdu votre video que vous aviez achetée $1 vous vous retrouviez avec un compte Google Checkout crédité de $1 ce qui est à peu près aussi inutile. A la fin ils ont crédité les cartes de crédits utilisées pour l'achat, ce qui était la bonne solution, en plus du crédit sur Google Checkout : Merci Google !

Bilan des courses pour les DRMs :
  • pour les consommateurs, une oeuvre protégée par DRM ne vaut rien car la seule certitude est qu'il arrivera un moment où vous ne pourrez plus en faire aucun usage, et ce moment arrive parfois très vite comme les évènements récents l'ont démontré (Play for Sure but not for Long ;-)
  • pour les labels et les distributeurs, les DRM coûtent en fait très chers comme la débâcle du Rootkit Sony et le remboursement (2 fois) de tous les clients Google Video l'ont aussi amplement démontré
du coup l'offre de contenu non protégé par DRM ne fait qu'augmenter : nous avions déjà mentionné eMusic, Magnatune, et iTunes Plus, mais Amazon ou Wal*Mart se lancent aussi dans l'aventure.

Alors que penser alors de ces députés qui ont voté la loi DADVSI il y a 18 mois ? Comment faire confiance à ce législateur aveugle qui se laisse manoeuvrer par des intérêts privés ? Comment peut-on confier l'avenir du pays à des élus godillots qui non seulement sont incapable d'élaborer un projet d'avenir, mais sont même incapables de réaliser que celui qui leur est apporté tout ficelé et prêt à voter par les lobbyiste, va dans le mur et n'aura plus de sens dans 2 ans ? Peut-on encore croire que le groupe UMP à l'Assemblée Nationale est capable de défendre l'intérêt général quand on se souvient comment ils ont magouillé pour éviter d'inscrire l'exception pédagogique dans la loi ?

Gouverner c'est prévoir. Voter une loi qui va contre l'évolution de la société c'est un crime, et quand cette évolution ne prend que 18 mois : c'est pire qu'un crime c'est une faute. Il y a certainement d'autres sujets qui démontrent l'incompétence de nos politiques (l'actualité est assez riche de ce point de vue) mais ce sujet est sans doute celui que je connais le mieux. Tous les éléments étaient sur la table pour prendre une sage décision, nos politiques en ont été incapable. Une poignée a fait son travail courageusement, mais la vaste majorité n'a rien fait ou a travaillé activement contre l'intérêt général. 18 mois après cela devrait être clair pour tout le monde : même Universal qui a déposé l'infâme amendement veut maintenant distribuer ses albums sans DRM ! Car comme toujours les lobbyistes sont les premiers à sauter du navire, mais ils laissent derriere eux un bourbier législatif aberrant sans commune mesure avec les besoins de la société du XXI siècle.

L'industrie du disque pleure mais elle a elle-même généré sa perte. Sa déconnexion complète des tendances de fond de la société moderne fait peine à voir, mais sa disparition ne chagrinera personne car la relève est prête. De nouveaux acteurs entrent en jeu, les nouvelles technologies permettent de s'affranchir des intermédiaires, et les nouveaux moyens de création rendent le consommateur acteur, voire artiste.

Mais le pouvoir de nuisance de l'industrie du disque reste réel car toujours avides de revenus qui ne leur demande aucun travail, ils ont apparemment réussi à imposer d'élargir la taxe sur les média vierges pour qu'elle s'applique aussi aux disques durs externes et autres clés USB. Pourquoi pas une taxe sur les hauts-parleurs qui permettent d'entendre la musique, ou mieux sur l'électricité qui permet d'alimenter tous nos appareils ? Et sur l'air qui permet de transporter les ondes sonores ? Cet élargissement d'assiète est scandaleux, car la vaste majorité du contenu stocké sur ces médias est maintenant du contenu libre de droits ou du contenu qui n'a rien à voir avec des oeuvres musicales (des photos, des jeux videos, des samples...). A titre d'exemple dans iTunes les morceaux de musique (tous légaux) représentent moins de 20G, contre plus de 50G de podcasts. Donc si j'achète un disque dur externe pour faire un backup, je vais payer une taxe proportionnelle à la taille du disque alors que moins d'un tiers ne contiendra pas de musique, et que ce tiers de musique aura été légalement acheté !!!

Donc l'industrie du disque pleure, mais elle a tort : elle est encore traitée bien trop avantageusement ! Il s'est passé beaucoup de choses en 18 mois, et la tendance va plutôt s'accélérant. Je n'ai plus aucun doute que cette industrie qui ne sait plus vivre qu'en parasite de la société va bientôt disparaître. Reste à trouver la génération politique qui pourra faire le ménage, et supprimer ces privilèges et prébendes qui n'ont plus lieux d'être... et pour l'instant c'est pas gagné !

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