Un commentaire de Christine Albanel dans un article récent du Point m'a interpelé. La ministre en bisbille avec une de ses collègues du gouvernement a déclaré:
Je signale que si d'aventure, Création et Internet n'était pas adoptée, il n'y aurait aucune perspective d'avenir pour l'offre légale de musique et de films en ligne face à la concurrence déloyale du piratage. Cette loi est donc le préalable incontournable du
développement de l'offre légale. Quand cette loi sera adoptée, on pourra construire de véritables modèles économiques, éventuellement fondés sur la gratuité, mais en tout état de cause, rentables pour les diffuseurs et procurant des revenus aux créateurs.
développement de l'offre légale. Quand cette loi sera adoptée, on pourra construire de véritables modèles économiques, éventuellement fondés sur la gratuité, mais en tout état de cause, rentables pour les diffuseurs et procurant des revenus aux créateurs.
Il n'y aurait donc aucune perspective d'avenir pour l'offre légale de musique et de films en ligne sans HADOPI !
J'aurai pu comprendre ce commentaire en 2000 alors que Napster inventait un nouveau moyen d'échange de musique, qui pouvait mettre en péril les premiers pionniers de la vente de musique en mp3 comme Goodnoise (qui deviendra ensuite eMusic). Voire en 2001 quand les majors ont fait fermer Napster, générant ainsi les réseaux peer-to-peer décentralisés, et multipliant les risques pour l'offre légale balbutiante. Ou même en 2003 lors du lancement de l'iTunes Music Store par Apple, après que les majors du disque se soient révélées incapables de proposer une offre attractive sur Internet (qui se souvient de Pressplay ?).
Déjà en 2005, ce commentaire aurait paru peu avisé, au moment où l'iTunes Music Store après deux ans d'existence pouvait revendiquer plus de 4% des ventes de musique aux USA, CD et téléchargements confondus, dépassant des institutions établies comme Tower Records, qui d'ailleurs n'y survivra pas.
Mais en Janvier 2008, l'iTunes Music Store est devenu le premier distributeur de musique aux Etats Unis ! Et l'offre légale de musique en ligne aux USA représente un tiers des ventes. Devant ces faits, comment peut-on en 2009 raisonnablement soutenir que l'offre légale en ligne n'a pas d'avenir sans HADOPI ?
Serait-ce que les Etats-Unis auraient adopté une loi similaire à HADOPI, certainement il y a plusieurs années vu l'épanouissement de l'offre légale en ligne dans ce pays ? C'est ce que voudraient faire croire la ministre et les portes-flingues de l'UMP en avançant régulièrement que "l'efficacité de cette méthode a été prouvée aux Etats-Unis" (voir par exemple l'article de JF Copé sur Slate.fr).
Je ne sais pas à quoi ils font référence mais il n'y a clairement pas de loi HADOPI aux Etats-Unis, et c'est bien pourquoi le RIAA représentant l'industrie du disque s'est lancé dans une opération à grande échelle d'assignation devant les tribunaux de pirates présumés . Ces procédures longues et coûteuses ont apporté plus de déboires que de satisfaction aux majors, et montrent qu'ils préfère gaspiller l'argent des artistes et le temps des tribunaux plutôt que d'essayer de promouvoir des solutions innovantes au problème.
Au passage j'invite le lecteur anglophone à lire la description détaillée des pratiques de l'industrie du disque lors de ces procédures judiciaires, qui permet de comprendre pourquoi les majors tiennent tant à la loi HADOPI qui leur permet d'éviter ce processus judiciaire en imposant le principe d'une sanction automatique après deux avertissements. D'autre part cela permet aussi de comprendre le niveau des "preuves" que l'industrie du disque utilise pour justifier la suspicion de piratage, et pourquoi les craintes des internautes et des associations de consommateurs sont fondées : quand on voit le peu d'éthique de l'industrie du disque dans ces procès, on peut légitimement craindre que la procédure automatique va multiplier les poursuites abusives.
Cette capacité à nier les faits, à maquiller l'histoire, à tordre la réalité au service de sa propagade, m'a fait irrésistiblement penser à 1984 d'Orwell. Aussi j'ai voulu analyser Hadopi à la lumière des principaux thèmes du roman :
- Trucage de l'histoire et propagande : voir ci-dessus. Au passage la citation "qui détient le passé détient l'avenir" pourrait être sur l'étendard des majors, militant pour l'extension du copyright.
- Big Brother et télécran : la loi entérine que les majors surveillent votre activité sur Internet et puisse vous dénoncer et demander la suspension de votre abonnement. Big Brother peut maintenant décider d'éteindre votre écran Internet...
- Destruction du sens logique : rappelons que la loi s'appelle 'Création et Internet', et qu'elle ne dit précisément rien sur la Création (on aurait pu espérer par exemple qu'elle encourage les initiatives favorisant la création comme les licences Creative Commons ou les net labels), et ne considère Internet que pour imposer la suspension de l'abonnement (sans imaginer une seconde qu'Internet puisse servir à un processus créatif).
- Bouc émissaire et manifestation de haine collective : le piratage et les pirates sont la cause de tous nos maux ! Ils mettent en péril la création, la culture ! Rien n'est plus important que de mettre fin au piratage, dixit Big Brother Sarkozy.
- Apauvrissement planifié de la langue : tout est fait pour empêcher l'expression de pensée subversive. Il est devenu impossible d'avoir une discussion rationnelle sur la dérive des législations sur le copyright ou le droit d'auteurs, qui spolient les générations futures et sont un handicap pour la création au XXIème siècle. Immédiatement on est taxé de pirate, d'être contre la création ou les auteurs ou les artistes, ou tout à la fois. Là encore comment peut-on être contre une loi qui s'appelle Création et Internet ? Heureusement que la communauté Internet l'a renommée HADOPI, ce qui a l'avantage au moins de permettre une discussion sur une analyse du texte, non polluée par le contexte de propagande falsificatrice imposée par le titre d'origine.
- Embrigadement des enfants : initialement je m'étais dit que c'était sans doute le point sur lequel Hadopi n'allait pas aussi loin qu'Orwell. Que nenni ! Hadopi prévoit que la législation doit être enseignée dans les collèges, dans le cadre du Brevet Internet !!! Elle organise donc l'embrigadement des enfants qui devront subir la propagande des majors à l'origine de cette loi, la liste des sites de téléchargement 'approuvés' par Hadopi, etc... Bien entendu la loi ne prévoit rien sur l'enseignement des licences Creative Commons, ni sur les net labels permettant des téléchargements légaux et gratuits... C'est donc de l'embrigadement des enfants au services des intérêts privés manipulant le pouvoir. Dans la plus pure tradition Orwellienne...
Hadopi est pire que je le pensais, et certainement pire que vous le pensez. C'est une étape supplémentaire dans la dérive Orwellienne de notre classe politique (car après tout quand on est au pouvoir on n'a rien à craindre de Big Brother, quoique...).
Il faut donc rejeter le texte de Christine Albanorwell !