2009/04/14

HADOPI ou l'art de gouverner à contretemps

Certains disent que gouverner c'est prévoir, et si c'est le cas il faut en conclure que nos hommes politiques ne gouvernent pas puisqu'ils sont non seulement imprévoyants mais systématiquement à contre temps. 


Ainsi fin 2006 Nicolas Sarkozy pouvait vanter les prêts hypothéquaires, sans bien sûr avoir prévu la crise des subprimes, mais que le ministre qui ne s'est pas laissé surprendre par cette crise lui jette la première pierre. Notons néanmoins au passage que certains acteurs commençaient à se désengager de ce marché dès la fin 2005, donc on aurait pu espérer que nos crânes d'oeufs hexagonaux se montrent un tantinet plus prudents. 

Il faut dire que l'année 2006 voyait aussi la création en grande pompe de Natixis, en mars 2006, avec à la manoeuvre un certain François Pérol qui y voyait certainement le moment le plus propice pour créer une grande banque d'investissement qui pourrait avantageusement s'ébrouer dans le champs des produits dérivés structurés et autres subprimes. Qui aurait pu imaginer qu'en 2006 non seulement ce n'était plus le moment d'entrer sur ce marché, mais il était devenu urgent d'en sortir ? Certainement pas ledit François Pérol, bien entendu, qui, après avoir si bien conseillé notre président sur les questions économiques, se retrouve maintenant par le fait du prince à la tête des deux banques qui ont eu le malheur d'avoir Natixis comme filiale. 

On pourrait ajouter à la liste la retraite par capitalisation et les fonds de pension, ou même le bouclier fiscal. A chaque fois on a l'impression que l'on est exactement à contre temps : loin de prévoir ce qui va se passer, on a un temps de retard, et on s'ingénie à prendre la mauvaise décision au mauvais moment. Avec un certain talent il faut le reconnaître...

Mais le lecteur avisé m'objectera, à juste titre, que je ne connais rien à l'économie, qu'il est facile de faire les prévisions à postériori, et que moi non plus à l'époque je n'avais pas prévu la crise des subprime ! Soit. Je laisse les experts du domaine économique analyser ces décisions et rendre leur verdict.

Mais je prendrai un dernier exemple sur lequel, j'ai la prétention d'avoir une certaine compétence et sur lequel je me suis largement exprimé à l'époque.

Car mars 2006 est entré dans l'Histoire pas seulement pour la création de Natixis mais aussi pour le vote de la loi DADVSI, après un long débat parlementaire plein de rebondissements. La raison d'être de la loi DADVSI était de sanctuariser les Mesures Techniques de Protection (plus couramment appelées par leur acronyme anglais DRM pour Digital Rights Management), c'est à non seulement autoriser les éditeurs d'oeuvres à utiliser des DRM pour contrôler et limiter ce que l'utilisateur peut faire avec une oeuvre, mais aussi criminaliser toute tentative de circonvenir ces mesures de protection pour quelque raison que ce soit. Bien entendu le tout étant fait sous la pression permanente jusque dans l'Assemblée Nationale des majors de l'industrie musicale et autres lobbys hollywoodiens, avec l'alibi universel de lutter contre le piratage. 

A l'époque la communauté Internet a combattu ce texte, et plusieurs députés d'opposition ont brillamment animé le débat à l'Assemblée Nationale. Sur Internet, dans les média traditionnels, et à l'Assemblée, plusieurs propositions alternatives ont vu le jour, dont l'idée de la licence globale. Toutes ces propositions avaient en commun un point: la reconnaissance que la voie des DRM était une impasse, et que pour résoudre le problème du piratage, ou plutôt de la rémunération des artistes, il fallait proposer de nouveaux modèles.

Pourtant lorsqu'elle a été votée, la loi DADVSI était restée focalisée sur la préservation des DRM. Là où la directive européenne autorisait 20 exception, la loi française n'en a conservé que 2, en faisant une des interprétations les plus restrictives d'Europe. Le parti au pouvoir a donc eu l'opportunité d'écouter les avis opposés, d'essayer de prévoir l'évolution de la société et des technologies, et il a choisi l'interpretation la plus restrictive, fondée sur la vision que les DRM étaient l'avenir de l'industrie musicale. A l'époque , comme beaucoup d'autres , j'étais contre cette vision qui me paraissait d'ores et déjà dépassée.

Revenons maintenant en 2009 où l'on nous repasse le plat réchauffé du piratage avec la loi HADOPI. Qu'en est-il des DRM ? Plus aucun morceau de musique vendu dans le monde n'est protégé par DRM ! Zero, zilch, nada ! Même si vous vouliez achetez un morceau avec DRM vous ne pourriez plus en trouver. Ca n'a pas été sans souffrance pour les malheureux qui avaient légalement acheté et téléchargé des morceaux de musique avec DRM puisqu'ils ont eu le choix entre : 
  • ne plus pouvoir écouter la musique qu'ils avaient légalement acheté
  • graver sur CD les morceaux avant de les re-convertir en MP3 (les éditeurs en étant réduit à expliquer aux utilisateurs comment contourner leur DRM :-)
  • payer 30 cent par morceau déjà acheté 99 cent pour avoir la version sans DRM (sur iTunes, Apple étant apparemment le seul à savoir faire de l'argent avec la musique sur Internet)

Donc tous les arguments qui avaient été avancés par les opposants à la loi DADVSI lors du débat, se sont révélés exacts. Nous n'avions simplement pas prévu que cela irait si vite. Et bien évidemment la loi DADVSI se retrouve obsolète en à peine 3 ans. Remarquable performance ! 

C'est pouquoi on nous propose maintenant la loi HADOPI puisque, toujours sous les auspices des majors de l'industrie musicale et autre lobbys hollywoodiens, il est urgent de lutter contre les pirates. Comme il y a trois ans... sauf qu'entre temps iTunes est devenu le 1er vendeur de musique aux USA (tous formats confondus, CD et téléchargement). Et on attend toujours l'esquisse d'une ébauche de stratégie cohérente sur Internet de la part de l'industrie musicale, plus occupée à permettre à Amazon de s'ériger en concurrent d'Apple qu'à essayer de prévoir ce que pourrait être le marché demain. 

Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, la mesure phare de la loi HADOPI, est bien évidemment parfaitement à contretemps de l'évolution de la société : la suspension de l'abonnement internet qui aurait servi à un acte de téléchargement illégal (après un avertissement par mail, puis un autre par mail ou courrier). Je passe sur les modalités contestables, sur le fait que la sanction ne s'applique pas au pirate mais au propriétaire de l'abonnement qui a été utilisé, car il n'y a rien à retenir dans cette démarche, mais venons en au fond.

Au XXIème siècle, au moment où tous les états veulent augmenter le taux de connexion haut début à Internet, voire lancer les premier plans d'équipement à très haut débit ; au moment où de nouveaux services sont créés tous les jours sur Internet ; au moment où nos enfants comprennent Internet mieux que nous, comment peut-on envisager de suspendre l'abonnement Internet d'une famille ? Pourquoi pas l'abonnement EDF qui a servi à alimenter l'ordinateur et le modem qui a permis le piratage ? 

Le même gouvernement qui nous demande de faire notre déclaration d'impôts par Internet, de payer impôts et amendes par Internet, propose maintenant de suspendre l'abonnement internet d'un contribuable, sous pretexte que l'industrie musicale a l'impression qu'il a été utilisé par un pirate ? Et il pense que les contribuables ne vont pas se rebeller ? De deux choses l'une, soit il est effectivement plus efficace de saisir sa déclaration d'impôts en ligne, et dans ce cas il est impensable que l'état accepte de priver un contribuable de sa connexion Internet pour satisfaire un intérêt privé, soit ce n'est pas plus efficace et il va falloir nous expliquer pourquoi ces investissement ont été faits, et pourquoi les campagnes d'incitation à la déclaration en ligne ont été lancées.

Toutes les entreprises qui envoie mensuellement des factures ou des relevés, préfèrent maintenant l'envoyer de façon électronique plutôt que par courrier. A quel titre l'industrie musicale pourrait-elle priver l'ensemble des autres industries d'un moyen plus efficace de faire leur business ? 

Réponse : il n'y a aucune raison. C'est inacceptable et ce sera donc inapplicable. Le parlement Européen a d'ailleurs rappelé son opposition à ce type de mesure . L'industrie musicale a un égo démesuré, et pense que tout lui est dû. Et puisqu'elle s'est révélée incapable de s'adapter au monde digital, elle doit le faire payer à la société. Elle n'imagine pas qu'on puisse utiliser un abonnement internet pour autre chose que pirater de la musique. 

L'argument de Pascal Nègre, d'Universal, expliquant que la suspension de l'abonnement était plus pédagogique que l'amende est à mourir de rire :
  • la pédagogie voudrait qu'on incite le pirate à se tourner vers le téléchargement légal et payant
  • lui supprimer son abonnement l'empêche de faire du téléchargement légal !!! 
  • en revanche il peut toujours aller dans des soirées entre copain avec son disque USB et échanger des giga octets de musique en une soirée, bien plus qu'il n'aurait pu faire par téléchargement
  • Il me semble qu'une amende, par exemple de 5 euros par morceau piraté, alors qu'un morceau coûte 1€ en téléchargement légal, aurait au moins pu l'inciter rationellement à s'intéresser au téléchargement légal

Que l'industrie musicale trouve des hommes politiques pour relayer ses positions ne lasse pas de m'étonner, et je pense qu'il faudra bien, comme pour l'industrie financière, arriver à faire toute la transparence sur ces soutiens qui se sont révélés particulièrement coûteux pour la société. 

HADOPI est donc à contre temps de l'évolution de la société. Pour faire bonne mesure, Nicolas Sarkozy a réussi à féliciter ses troupes à contre temps également, puisqu'il l'a fait avant le vote, et que par une manoeuvre d'un style potache bienvenu en l'occurrence, le gouvernement a été mis en minorité lors du vote à main levée et la loi rejetée.

Et le président de l'Assemblée, est lui aussi à contre temps, puisque, suite à cet incident, il décide (enfin!) de sévir contre l'absentéisme (de ses troupes!) à l'Assemblée, alors qu'il aurait suffi de demander un vote formel, ce qui aurait eu pour seul inconvénient de communiquer une date pour le vote et de garantir que l'on aurait connu le vote de chaque député. Mais en fait quand on est à contre temps, on n'aime pas trop que ça se sache...








3 commentaires:

le gaulois a dit…

Si, comme on peut le croire, la connexion à Internet est devenu un service public, il est effectivement impossible d'en priver quelqu'un pour une question d'intérêt particulier. Ceci dit, la logique hadopienne devrait conduire à interdire le réabonnement à un autre fournisseur, ce qui nécessite la création d'un casier internet pour enregistrer les condamnations.

AB a dit…

Et empêcher les abonnements téléphoniques 3G permettant l'accès à Internet, les netbooks avec abonnement 3G intégrés, etc....

Anonyme a dit…

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